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Le Rouge et le Noir - Lundi 22 -TF1- 20.50

Télérama No 2501-17 décembre 1997

Une adaptation du fameux roman pour les fêtes ? Alléchant ! Victor Del Litto, spécialiste de Stendhal, a vu. Il modère nos ardeurs...

"C'est long, long, long!"

Signe prémonitoire? Le grand spécialiste de Stendhal, Victor Del Litto, est né à Rome. A 17 ans, en 1930, ce fils d'officier abandonne sa famille, ses études, sa ville parce qu'il ne supporte pas Mussolini. Il choisit de s'installer à Grenoble, à cause de Stendhal, qu'il vient de découvrir. Depuis. il ne l'a plus quitté. Même dans le maquis du Vercors, il en discute avec l'écrivain Jean Prévost, qui sera tué par une patrouille allemande: "On se demandait: que faisons-nous là ? Comme Julien Sorel et Falbrice Del Dongo, nous sommes les déracinés qui vivons une aventure qui nous dépasse."

Victor Del Litto a pris la relève d'Henri Martineau. le père fondateur des études stendhaliennes. Il a mis au point et annoté la plupart des dernières éditions de l écrivain grenoblois et a participé tout récemment à la publication de l'intégralité de sa correspondance et des chroniques anglaises ( I ). A l'écouter, on constate que sa longue intimité avec Stendhal. sans le dépouiller de l'accent de sa terre natale, lui a donné le sens du récit qui galope. puis se retient, de la phrase qui fait mouche et des digressions imagées. Il a regardé pour Télérama l'intégralité de l'adaptation télévisée du Rouge et le Noir réalisée par Jean-Daniel Verhaeghe, que diffuse TFI.

Si vous avez raté le roman

Stendhal ne sculptait pas ses romans dans le marbre. Il écrivait vite, très vite, pour capter la vitesse de la vie, saisir son époque. La trame du roman est d'ailleurs tirée d'un fait divers qui agita l'lsère en 1827. Son héros Julien Sorel est un jeune homme pauvre et doué qui, dans la France ultra et bigote de la Restauration, ne peut sortir de sa condition que par la prêtrise et les femmes, car Julien est beau garçon. Il n'est pas Rastignac, trop impétueux pour cela. Ni Don Juan. Ce sont les femmes qui le choisissent.

D'abord, madame de Rênal, la provinciale, épouse du maire de Verrières, la petite ville où Julien est né, qui l'a engagé comme précepteur des enfants. Puis Mathilde de La Mole, la Parisienne, enfant gâtée et fanstasque du marquis de La Mole, un pair du royaume dont Julien est devenu le secrétaire. Alors qu'il est sur le point d'épouser la jeune fille, il prend connaissance de la lettre, toute de venin, que madame de Rênal a envoyée à son futur beau-père, le marquis. Il décide de la tuer. Julien, comme tous les héros de Stendhal, ne mourra pas dans son lit.

TELERAMA: D'où vous est venue votre passion pour Stendlhal ?

Victor DEL LITTO: Je me le demande encore, figurez-vous. Ce n'est pas une passion, c'est quelque chose d'autre. Un cousinage, une fatalité ? Est-ce que nous sommes maîtres de notre destin? Non, pas plus que Julien Sorel. Stendhal est l'homme des énigmes et des mystères profonds. Tout est parti peut-être de ma lecture des Promenade dans Rome quand j'étais adolescent. Stendhal racontait qu il contemplait la ville depuis le Janicule et que c'est Grenoble, soudainement, qui a surgi devant ses yeux...

TRA: Quelle est votre première impression sur cette adaptation télévisée?

V.D.L: C'est long, c'est long, c'est long ! On s'embrasse beaucoup trop. Une fois, deux tois, trois fois, ça va. Mais la quatrième, euh, euh, euh ! Il y a trois quarts d'heure au moins qu'on aurait pu couper. Le bain du marquis de La Mole: voilà une scène qui n'apporte rien, et qui n'est même pas dans le roman. Elle dure bien cinq à six minutes. Tous ces cortèges, ces processions. Ça n'apporte rien non plus.

TRA: Quelles autres scènes vous paraissent superflues?

V.D.L.: Durant son procès,a la fin, Julien Sorel prononce la phrase célèbre:"Vous devez me condamner à mort. Je suis coupable de meurtre. Mais je ne suis pas jugé par mes pairs." Il dit cela, et ça suffit. Dans le téléfilm il finit encadré par deux gendannes qui l'emmènent. C'est excessif. Dans le roman. il n'y a pas de guillotine non plus. Rien n'est décrit. on dit juste: "Tout cela se passa simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation." J'ai le sentiment que la personne qui a écrit le script connaissait mal Stendhal et qu'elle n'était pas conseillée. Cela a dû coûter les yeux de la tête mais, au fond, on n'explique rien au téléspectateur.

TRA: Quelles sont les clés qu'il aurait fallu donner?

V.D.L.: Le roman est le miroir d'une époque confrontée à quelque chose que nous avons du mal à comprendre: la chute de l'Empire et la Restauration. Julien est un révolté, coincé entre la gloire de jadis, Ie rouge devenu inaccessible, et le noir du séminaire. Prenez la première scène: trois hommes se battent. Mais comment le téléspectateur peut-il savoir qu'il s'agit là de trois frères, dont deux détestent le troisième? Ce garçon appelé Julien Sorel, ne ressemble pas aux siens, il est d'une matière autre. D'où la bagarre. C'est tout le problème des transpositions d'oeuvres littéraires. La voix off, ça fait vieillot. Il faut se débrouiller pour faire comprendre l'essence du roman par l'image.

TRA: Aujourd'hui, on dirait que Julien est un déclassé !

V.D.L.: Et on ne le MONTRE pas. Prenez l'épisode charnière du séminaire. Julien est un paysan comme les autres. Mais les séminaristes le rejettent. Ils l'appellent Martin Luther, le diable en personne, à l'époque. Dans le téléfilm. la scène du réfectoire est une scène de rigolade. Dans le roman, elle est tragique. Autant-Lara avait réussi à retranscrire cela: il avait mis en scène la large table. Tout le monde est là, assis, avec componction, devant son oeuf à la coque. Julien voit que son voisin a un mouvement de répulsion: son oeuf est pourri. Délicatement, il lui donne le sien. L'autre le repousse et s'écrie: " Ah non, pas toi !" On mesurait ainsi combien Julien ne trouvait nulle part sa place.

TRA: Ce téléfilm a-t-il tout de même quelques qualités?

V.D.L.: La technique est irréprochable. Les personnages sont très bien choisis. surtout du côté hommes. Excepté Julien Sorel. qui manque de ce feu intérieur dont parlait Stendhal. Mais on ne trouve pas des Gérard Philipe à tous les coins de rue. La Mole est parfait. Rénal aussi.Les costumes sont magnifiques,les cosmétiques impeccables. Je m'incline devant les mouvements de caméra. Tout cela fait plaisir aux yeux mais ne permet pas de saisir la valeur de ce livre chargé de symboles. Le haut de la guillotine, les deux femmes qui pleurent ensemble, c'est un peu bécasson. Conclusion: les intellos feront la fine bouche et les autres trouveront cela beau mais n'y comprendront rien.

TRA: Vous êtes impitoyable !

V.D.L.: Comprenez bien: je ne suis pas le sorbonnard qui crierait: "On a osé s'attaquer à Stendhal ! Au contraire, j'encouragerais plutôt. Mais Le Rouge et le Noir illustre une fracture de l'Histoire que Stendhal a mise en scène - et c'est un grand metteur en scène. Or il y a eu d'autres fractures, depuis. Je me suis demandé tout le long du téléfilm: on a dépensé un argent fou pour représenter telle quelle une aventure qui s'est passée en 1830, est-ce que c'est légitime, nécessaire? Nous faut-il des béquilles pour marcher? Pourquoi en est-on réduits à ça ?

 

TRA: Au fond, vous seriez pour une adaptation modernisée du roman? Quel serait alors le décor d'un nouveau Julien Sorel ?

V.D.L: Pour moi. vu mon âge, Le Rouge et le Noir annonce ce qui se passera entre 39 et 45, avec ses opportunistes et ses aventuriers, ses résistants et ses mouchards, ses victimes et ses bourreaux. Pour les générations suivantes. je songe à Mai 68, qui a flanqué une telle trouille à de Gaulle ! Ou à la chute du mur de Berlin. On n'a que l'embarras du choix. Mais est-ce que l'auteur de ce film s'est aperçu qu'il y avait autant matière à réfléchir, je n'en suis pas sûr.

Stendhal est l'écrivain d'un monde en rupture. C'est pour ça qu'il est toujours d'actualité. C'est la société frileuse, ce quelque chose qui vous repousse, qui s'oppose, qui vous rejette et ne récompense que ce qui est conforme. Les jeunes qui ont l'âge de Julien Sorel aujourd'hui ne sont pas muselés. Mais c'est peut-être pire. Ils se noient doucement .

Propos recueillis par Agnès Bozon-Verduraz et Orianne Charpentier

(1) Paris-Londres. Ed. Stock 970 p., 180 F. Correspondance générale, tome 1 (l800-1809). Ed. Honoré Champion, 904 p., 500 F.

Julien Sorel (Kim Rossi Stuart) et Mme de Rênal (Carole Bouquet). Dans ce film, dit Victor Del Litto, "on s'embrasse beaucoup trop !" Télérama N 2501-17 décembre 1997

 

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